Les Chroniques de l’IFG, « Suis-je le gardien de mon frère ? »

A « l’hybris » de Prométhée (voir article précédent) semble répondre la sombre question de Cain : « Suis-je le gardien de mon frère ? »

L’idée qu’il faut inventer un modèle de développement durable, une idée qu’impose la nécessité, oblige du même coup à répondre par l’affirmative et à ranimer la notion toute politique de « fraternité », souvent invoquée mais rarement vécue.

La Responsabilité en effet définit une éthique et un comportement qui engagent tous les hommes mais s’adressent particulièrement au politique. L’occasion lui est donnée de rompre avec la routine, la gestion ou même la simple administration, de faire de la « décision » la preuve de ce que Martin Heidegger nomme le « souci », la « veille » : ses choix ne l’obligent plus seulement à l’égard de ses concitoyens mais l’attachent aux générations à venir. Avec l’éthique du futur, la responsabilité devient à la fois suprapersonnelle et supragénérationnelle, explique le philosophe François Guéry. C’est l’accomplissement de la pensée de Nietzsche qui voit dans la responsabilité une tentative pour s’émanciper du temps. De fait si Weber parle du nécessaire goût de l’Avenir, sans lequel il n’y pas de véritable vocation politique, Nietzsche avant lui avait réclamé une véritable « Mémoire de l’Avenir »

La plupart des périls écologiques identifiés aujourd’hui ne menacent pas directement le présent, ils pèsent sur le futur proche ou lointain. Une exigence nouvelle doit dès lors s’imposer qui tranche sur les habitudes creusées par la modernité et qui conduisent à valoriser le présent, l’instant de la sensation, l’impatience du désir et la recherche de son immédiate satisfaction. Cette nécessaire remise en cause de notre rapport à la temporalité est encore plus difficile pour le politique dont l’existence est rythmée par des échéances électorales, toujours à court terme. Comment concilier la brièveté du temps politique avec cette durée qu’il faut désormais soutenir ?

Les effets prévisibles des mesures prises aujourd’hui pour prévenir tel ou tel risque écologique majeur ne seront pas manifestes dans l’immédiat : n’en bénéficieront en fait que des électeurs qui ne sont pas encore nés et dont le vote n’a évidemment aucun poids…

Sur le plan politique par ailleurs, on l’aura bien compris, la question du développement durable soulève celle de la précaution. Il ne s’agit pas d’une attitude frileuse ou couarde de suspension de l’action mais bien d’une démarche active et ouverte, contingente et révisable. Si elle est même exactement l’inverse d’une décision tranchée une fois pour toutes, elle se révèle être aussi la seule manière « d’agir dans un monde incertain ».

En réalité tout cela résulte en fin de compte de la prise en considération des caractéristiques nouvelles que les risques écologiques de notre temps ont dévoilées.

Tout d’abord, l’invisibilité. En effet toutes les questions qui portent sur la permanence et la protection de notre environnement sont rarement tangibles : la déplétion de la couche d’ozone, le réchauffement climatique dû à l’effet de serre anthropogénique, la pollution radioactive …Aucun de ces phénomènes n’est véritablement sensible dans l’expérience quotidienne. La médiation scientifique est indispensable à leur appréhension, ce qui contribue à en rendre la gestion politique difficile.

Ces risques sont en second lieu imprévisibles, pour une grande part. Ainsi aucun des grands problèmes de pollution globale n’a vraiment été anticipé. A quoi s’ajoute leurs effets sociaux induits, c’est-à-dire la manière dont les différents acteurs vont s’approprier la gestion instituée de ces mêmes risques.

Enfin ils sont instables et mondiaux. La réponse politique ne peut être trouvée et donnée qu’à l’échelle internationale : le nuage radioactif de Tchernobyl n’a pas eu la courtoisie de s’arrêter aux frontières de l’Ukraine. Le souci du développement durable offre l’occasion de penser la nécessité d’une gouvernance mondiale responsable.

Quelle opportunité ! Au moment paradoxal de la confrontation à des risques majeurs qui font peser sur l’Humanité une menace définitive : la chance d’exiger du politique qu’il s’arrache enfin, tant sur le plan national qu’international à la mesquine préservation des intérêts particuliers. Le développement durable est certainement la question clé du XXIème siècle constatait la ministre Gro Harlem Brundtland dans son célèbre rapport. Mais c’est une question qui exige des réponses rapides pour des effets lointains.

A suivre : « Greta Thunberg, une mythologie contemporaine ou la croisade d’une enfant. »

Retour en haut

Télécharger la brochure