De quoi les Soft Skills sont-ils le nom ?

De quoi les Soft Skills sont-ils le nom ?

Un Voyage au pays des Truismes ?

Par Eric COBAST Professeur Agrégé de l’Université, Directeur  de la Prépa Saint Germain et de l’Académie de l’Eloquence.

Elles ont envahi depuis quelques années les programmes et la pédagogie des Ecoles de Gestion et de Management mais aussi les C.V. des demandeurs d’emploi comme le lexique des recruteurs et des R.H. Elles demeurent peut-être innommables en français d’où l’usage exclusif de l’anglais pour les désigner et l’embarras bien réel à en traduire l’expression. Ce sont les soft skills.

Dès que l’on consacre un peu de temps à la littérature qui leur est dédiée, on s’aperçoit que les définitions sont variées, qu’elles divergent et surtout que chacun détient sa petite liste de skills pas nécessairement semblable à celle du voisin. Il faut y regarder alors de près pour bien comprendre de quoi il s’agit vraiment et quels sont les enjeux que l’on devine derrière cette requête de soft skills, impérieuse pour les employeurs comme pour les étudiants. Nous avons sans doute beaucoup à apprendre de cette demande nouvelle mais nous allons voir qu’il n’est pas si soft que cela de prendre au sérieux un discours trop souvent farci de lapalissades et de phrases ronflantes, un discours dans les creux duquel se laisse parfois sentir le vide de la pensée.

Il faut tout d’abord surmonter l’obstacle de la dénomination qui n’inspire pas vraiment confiance et puis surtout celui que dresse la collection d’évidences le plus souvent proférées doctement pour définir et déterminer chacune de ces skills. L’effort en vaut la peine car ce dont elles sont l’indice révèle un désarroi réel devant l’avenir mais aussi un constat inquiet portant sur le présent et l’évolution de l’éducation au sens large : Que l’on en soit par exemple arrivé à faire de la « capacité d’écoute » une compétence pour le travail en groupe,  qu’il faille rappeler qu’une « attitude bienveillante et positive » dans le dialogue est une qualité recherchée…voilà qui ne manque pas d’être consternant tant cela révèle que l’évidence d’hier n’est plus évidente aujourd’hui.

De quoi parle-t-on ?

On connaît le soft power qui désigne le pouvoir d’influence de la Culture dominante (et dans ce cas, soft suggère l’idée de discrétion, voire celle de dissimulation), il y a les soft drinks, les boissons non-alcoolisées, le software qui renvoie à la légèreté du logiciel par opposition aux lourdes installations que requiert l’informatique (hardware)…dans tous les cas, soft appelle un « amoindrissement » par opposition à « hard », évidemment…doux, souple, mou, gentil,  allégé, discret, imperceptible, indolore…Soft, c’est un peu tout cela à la fois, une acception assez flottante mais toutefois toujours teintée de déficit de consistance. L’adjectif n’est pas péjoratif par définition mais on perçoit aisément qu’il pourrait le devenir.

Skill en revanche est un terme très positif.

C’est avant tout le talent, l’aptitude, la compétence.

L’association des deux mots produit une expression contradictoire. Qu’est-ce qu’une « compétence molle » ? « douce » ? Justement le contraire de ce que les employeurs recherchent… Et d’ailleurs, qu’est-ce qu’une compétence ? On peut y voir un ensemble de connaissances, de savoir-faire, d’aptitudes et de traits de personnalités développés par l’expérience. La compétence est fondée sur l’expérience, la pratique dont on pense qu’elles seront utiles, voire déterminantes pour la réussite des missions qui sont définies. Un homme compétent, c’est un homme dont on sait « qu’il sait y faire ». Que vient ajouter, ou retirer (!) l’adjectif soft !

Je crois qu’une grande partie de la défiance que nous inspire parfois ce discours sur les soft skills vient du choix malheureux de l’expression.

En fait, soft n’a de sens véritable que par opposition à hard et par différence avec mad. Si on parle de soft skills, ce n’est qu’en relation avec les hard skills, et les mad skills. Le fait de n’avoir conservé dans notre vocabulaire que cette seule expression sans la maintenir dans le jeu d’oppositions sémantiques qui s’impose en anglais, lui retire en réalité sa véritable signification et une forme de crédibilité.

Les hard skills – ou compétences dures -, ce sont des compétences techniques requises pour un poste, qui s’apprennent à l’école, s’acquièrent en formation ou au fur et à mesure des différentes expériences professionnelles.

Facilement identifiables et mesurables, les hard skills étaient les principales compétences évaluées par les recruteurs. Ces derniers complètent désormais leur profil des candidats avec ces mad skills, « compétences folles », qui sont des aptitudes que l’on peut déduire de loisirs ou de centres d’intérêt singuliers.

Dans ces conditions les soft skills, ce sont toutes les autres formes de compétences. Elles ne sont pas techniques, elles ne s’adossent pas à un savoir. Certains vont même jusqu’à dire qu’on ne les enseigne pas à l’Ecole (qui a toujours privilégié l’acquisition des hard skills).

Chacun y va dans ces conditions de sa traduction : compétences comportementales, compétences humaines, compétences personnelles (!), compétences relationnelles, savoirs comportementaux, savoir-être (!), intelligence relationnelle, compétences transversales…

Chacun reconnaîtra les siens. Sauf que ces traductions ne sont pas vraiment éclairantes même si on peut toutefois privilégier « compétences relationnelles » car dans tous les cas l’aptitude à échanger, à dialoguer, à communiquer est primordiale ; et « compétences transversales » parce que l’expression dit concrètement à quoi servent vraiment ces talents requis. Au fond les soft skills couvrent différentes dimensions (l’activité, la relation, l’émotion…) et toutes les fonctions, toutes les missions ne réclament pas les mêmes compétences. Voilà pourquoi ces soft skills sont si nombreuses. On peut pour clore le sujet rappeler que ces compétences s’appuient sur les qualités humaines nécessaires pour réussir dans le monde professionnel. Pour la plupart, il s’agit de capacités à interagir avec les autres.

Cette seule formulation suppose une idée frappée du sceau du bon sens : dans le monde du travail, on agit très rarement seul. Tout simplement parce que l’on agit nécessairement en équipe, parce que l’on échange ce que l’on produit etc. Tout simplement parce que le travail est notre fait social majeur et qu’il s’inscrit dans une infinité d’interactions plus ou moins complexes entre les hommes. Pour être à sa place, pour réussir, s’épanouir dans le monde du travail les qualités humaines et relationnelles sont indispensables…

C’est une évidence… On peut dès lors proposer une liste ordonnée des principales soft skills :

Compétences en communication
Les compétences en communication sont essentielles en entreprise, et ce, à presque tous les postes. Il s’agit de :
La capacité d’écoute, l’aptitude à persuader, le sens de la négociation, l’aisance à savoir parler en public, la capacité à créer des présentations Power Points impactantes, les qualités rédactionnelles, la maîtrise du langage corporel.  
Pensée analytique et critique
La pensée analytique et critique révèle la capacité à analyser une situation, et en tirer des enseignements justes, permettant de prendre les bonnes décisions. Voici des soft skills dans cette thématique :
S’adapter aux environnements, Le Créativité, La Capacité à Penser en dehors de la norme, L’aisance avec les chiffres, L’intuition à Détecter les problèmes, L’envie d’apprendre, Le Goût de l’innovation
Leadership
Les softskills en leadership constitue la capacité à interagir, écouter, faire grandir, voire parfois influencer les personnes avec lesquels on travaille.
Ces compétences visent à :
Résoudre les conflits, manager des collaborateurs, donner des directives compréhensibles, donner des feedbacks intelligents, savoir déléguer des tâches, savoir gérer et organiser un meeting, développer des talents, jouer un rôle de facilitateur, être inspirant
Attitude positive
L’attitude positive traduit la capacité à gagner la confiance et partager des valeurs  positives :
Capacité à être énergique, capacité à être enthousiaste, aptitude à fédérer, capacité à être amical et bienveillant, honnêteté, capacité à équilibrer vie privée – vie professionnelle, sens de l’humour.
Travail d’équipe
Le travail en équipe souligne la capacité à rassembler des personnes et des compétences différentes sur un projet, et le mener à bien. Il faut alors savoir :
Accepter les feedbacks, être toujours orienté client, faire passer l’équipe avant tout, arriver à souder une équipe, arrive à gérer avec la politique d’entreprise, arrive à gérer les personnalités différentes, être persuasif


Éthique au travail
Il s’agit là de la capacité d’être intègre, juste et équitable dans les prises de décision. Il s’agit également de respecter les guidelines et deadlines, afin de rendre le travail en temps et en heure, suivant les consignes qui ont été donné :
 Capacité de travailler pour l’intérêt général, aptitude à respecte les consignes, aptitude à valoriser équitablement l’apport de chacun, fiabilité, capacité à mettre fin à une situation anormale, aptitude à travailler sous la pression, aptitude à planifier son travail ,Capacité à Respect des deadlines.
La plupart de ces « compétences » sont des qualités dont on voit mal comment on pourrait imaginer les transmettre et moins encore en constituer un enseignement, ce sont également des qualités dont on voit mal comment il serait possible de les évaluer, de les mesurer tout simplement. D’ailleurs le plus souvent elles font l’objet de simples « déclarations » par les rédacteurs de CV, sans qu’il soit possible pour les destinataires d’en vérifier la réalité.  

Des formations pourtant essentielles…

Est-ce qu’on peut concevoir un enseignement des soft skills ? Toutes les Grandes Ecoles – ou presque – s’en emparent mais cela constitue un grand défi d’innovation pédagogique qu’elles ne parviennent pas toujours à relever. Car il ne s’agit pas évidemment de transformer le soft en hard, de théoriser l’évidence pour construire un corpus académique inutile.

En effet on n’enseigne pas une compétence relationnelle, on la « travaille », on la fait pratiquer par les étudiants en plaçant ceux-ci en situation. Il s’agit ainsi moins d’enseigner ou de transmettre que de former. De fait, une soft skill peut s’acquérir, elle n’est pas nécessairement innée ou naturelle, elle ne dérive pas d’un charisme (dont on rappellera utilement qu’il s’agit d’un mot grec signifiant le don des dieux.). Comme pour toute compétence, l’acquisition d’une soft skill peut-être plus ou moins facilitée par des « prédispositions », des traits de personnalité. Mais une soft skill n’est pas un trait de personnalité. Ce sont des aptitudes, faites de méthodes et de techniques auxquelles on peut former les étudiants.

Les Ecoles sont des lieux privilégiés pour ces « Serious games », ces exercices de simulation – des jeux de rôles en quelque sorte, où la capacité de chacun des participants à réagir, gérer ou s’adapter à certaines situations est sollicitée.

Mais les exercices de team buildings, la pratique de l’Eloquence dans le cadre d’ateliers dédiés avec en ligne de mire un Concours en fin d’année (Au total 20 sur les 45 « Soft Skills » identifiées plus haut sont mobilisées dans le cadre de la prise de parole en public : certaines de ces compétences sont travaillées directement – la maîtrise du langage corporel -, d’autres le sont de façon plus oblique mais néanmoins bien effective, capacité à accepter les feedbacks), ou encore l’organisation de Hackathons, l’institution de workshops, ateliers collaboratifs,  permettent d’exercer  efficacement la créativité, l’agilité de chacun.

Tous ces moments de formation conduisent à identifier les lacunes, les défauts des uns ou des autres et à pallier plus ou moins facilement les manques et les besoins.

Car ce qui importe alors tout autant que la pratique, c’est la connaissance de soi qu’apportent ces formations. Au fond c’est une bonne connaissance de soi, de ses capacités, de ses aptitudes, de ses envies, qui constitue le but de tous ces exercices. Partant la qualité du regard et de l’écoute des formateurs est pour cette raison déterminante. L’accompagnement des étudiants dans cet apprentissage d’eux-mêmes ne saurait évidemment s’improviser et doit faire l’objet du plus grand soin de la part de la direction des études.

Ces formations sont en effet essentielles, quand on a pu lever les réticences initiales, évoquées au début de cet article. Elles répondent en effet à la nature de notre modernité. Ainsi les soft skills, contre toute attente, s’avèrent plus stables, plus sûres que les hard skills que l’obsolescence des contenus programmée par les constants progrès de la technique oblige à revoir régulièrement. En outre elles dessinent un profil adaptable à toutes les évolutions possibles et imprévisibles du monde du travail. On l’a assez entendu et répété, les métiers de demain sont pour l’écrasante majorité d’entre eux inconnus aujourd’hui. Et le développement de la culture des soft skills est la seule « bonne » réponse à la question que pose aux pédagogues, aux parents d’élèves, cette incertitude de nos lendemains. Les transformations s’accélèrent et se démultiplient : il est clair que l’Entreprise de l’ère post Covid-19 ne se réinventera pas sans la maîtrise des soft skills. On songe pêle-mêle à une plus grande requête de créativité, d’agilité, au développement de la « pensée critique » et de la rhétorique etc. La prise de conscience de cette nécessité est d’autant plus nécessaire que les « compétences relationnelles » ont été maltraitées par l’évolution d’une société de plus en plus individualiste (on dit même aujourd’hui hyper-individualiste), incivile et où les rudiments du « bien-vivre-ensemble » semblent avoir été oubliés.

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