Les Chroniques de l’IFG, « Philosophie du Management »

             « Au fond des victoires d’Alexandre, on retrouve toujours Aristote… »

 

Il y a quelques années j’avais conçu et conduit un cours en ligne consacré, pour mes étudiants de l’INSEEC programme Grande Ecole, à ce que nous avions choisi d’appeler alors la « philosophie du Management », dans la perspective de poursuivre la formation reçue en prépa pendant deux années. Expérimental dans un premier temps, simplement proposé comme un électif, ce programme avait fini rapidement par trouver sa place dans la maquette pédagogique.

La philosophie débute dans les rues d’Athènes avec un original qui va pieds nus, interrogeant au hasard des rencontres ses concitoyens sur la signification de leur pratique professionnelle, au rhéteur Socrate demande ainsi ce que « bien parler » veut dire, aux généraux qu’est-ce que le courage etc. Dans le cadre d’une Ecole de Commerce et de Gestion, il n’était donc pas hors sujet d’engager une réflexion sur le sens du « management » que les étudiants étaient nombreux à découvrir alors

 La surprise est venue de ce qu’en partant de définitions « scolaires » et d’une description sommaire de l’activité managériale, nous avons dû retracer le chemin emprunté par la philosophie pratique des Anciens pour comprendre comment il était possible aujourd’hui d’accompagner l’action de plusieurs dizaines d’individus dans un environnement incertain, comment aux questions que pose cette situation « moderne » décrite par Machiavel dès 1513 la lecture d’Aristote apporte des réponses intéressantes qui nous parlent.

Le management interroge en effet les modalités du « vivre ensemble » (sic), il s’appuie sur une véritable « phénoménologie de l’agir », il ramène à l’évaluation des moyens au service d’une fin, il redonne du sens aux verbes « décider », « diriger », « organiser », « animer » : le lexique du management est un lexique constitué des principales notions de la philosophie occidentale.

Qu’on rappelle les quatre fonctions de base du Management que synthétisent les quatre verbes :  Piloter, Organiser, Animer, Diriger.

L’art du pilote, c’est l’art de la navigation qui suppose autant l’intuition que la technique. Tenir la barre, ce n’est pas fixer le port d’arrivée mais c’est « sentir » le vent et les courants pour y parvenir. Organiser, c’est lier les parties au service du tout. Une organisation, c’est une solidarité. Animer, c’est donner une âme, c’est-à-dire un mouvement, un souffle…L’animation suppose ce passage du spirituel à la réalité matérielle. Animer, c’est mettre en mouvement la matière et son inertie. Enfin diriger, c’est orienter mais c’est aussi décider, La direction, c’est un sens en même temps qu’un commandement, une constance en même temps qu’une volonté.

Mieux : notre temps place celui qui commande – celui qui se trouve aux commandes – le « responsable » à la tête d’une entreprise, d’un ministère, d’un état, dans la situation d’une confrontation permanente à l’Imprévisible, dans l’attente du surgissement brusque d’un « Cygne Noir », c’est-à-dire un évènement sans antécédent que rien ne laissait prévoir. Il lui faut impérativement soit révéler la virtuosité (ce que Machiavel appelle la « virtu ») qu’il porte en lui par nature, soit – s’il est dépourvu de cette puissance plastique d’adaptation à la naissance – acquérir cette vertu souveraine que les grecs nomment « Phronésis » et que nous pourrions traduire par « prudence », au sens que l’on donne à ce mot dans l’expression « jurisprudence », c’est-à-dire une sagesse pratique susceptible de ramener autant que faire se peut l’inconnu à du connu. Aristote analyse longuement cette vertu qui réclame expérience, capacité d’évaluation juste et rationnelle, connaissance du passé et sens du présent. Cette « vertu » -là n’est pas innée, elle s’apprend, elle se cultive.

Mais notre temps, c’est aussi celui des individus et à des individus on ne s’adresse pas comme à des foules, des masses ou des communautés, notamment alors que l’Autorité est entrée dans une crise durable. Ces individus, il faut les convaincre et les persuader de travailler ensemble au service d’un projet collectif, les associer à la décision, développer une pratique de l’interaction dans le cadre d’une éthique de la discussion. A l’intelligence du contexte et au sens de l’opportunité il faut ajouter le maniement expérimenté de la rhétorique (pour séduire et motiver) et de la dialectique (pour conduire le dialogue).

Il n’y a pas de bon manager qui ne soit aussi philosophe (alors que l’inverse est loin d’être assuré !)

On pourrait alors détourner la formule célèbre du Général de Gaulle dans Le fil de l’épée qui évoquait nommément le commandement et la Culture générale :

La véritable école du management est celle de la philosophie : « Par elle la pensée est mise à même de s’exercer avec ordre, de discerner dans les choses l’essentiel de l’accessoire (…) de s’élever à ce degré où les ensembles apparaissent sans préjudice des nuances. Pas un illustre capitaine qui n’eût le goût et le sentiment du patrimoine et de l’esprit humain. Au fond des victoires d’Alexandre, on retrouve toujours Aristote… »

 

A suivre : « Philosophie du luxe : une polémique. »

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